Interview réalisée par Gérard ALLE - Livre et lecture en Bretagne.
Philippe Languille, comédien de la compagnie Udre-Olik, est intervenu avec son acolyte Laurent Menez pour des lectures impromptues au sein des trois établissements pénitentiaires d'Ille-et-Vilaine dans le cadre du projet régional QUARTIER LIVRE de lutte contre l'illettrisme en prison. Il nous livre son retour sur cette "tournée théâtrale" pas comme les autres ..
Vraoum !… Vraoum !… Les
voilà qui déboulent sur leurs mobs… Bip bip ! Bip bip ! Ils ouvrent.
Sans gêne. Casqués, mais pas blindés, les voilà qui entrent dans les
bureaux du Conseil général, dans une chambre d’hôpital, une médiathèque,
une usine. Ils attaquent le bureau du PDG, les chiottes, le placard à
balais. Même en prison, aucune porte ne leur résiste… Bonjour ! C’est
Bip bip lecture, livraison de textes à domicile ! Depuis 1998, la
compagnie rennaise Udre-Olik tente d’assouvir son immense désir de
théâtre et de poésie par des lectures, des représentations, des
interventions dans les murs et hors les murs. Philippe Languille, ôtez
votre casque, s’il vous plaît.
Tout cela est-il sérieux ?
« Quand je suis revenu à Rennes, en 1998, la
bibliothèque centrale m’a demandé de travailler à une lecture sur le
thème « Rire à gorge déployée ». Il m’a fallu trouver un nom. Udre-Olik,
c’est dans l’esprit d’Alfred Jarry. Il est toujours tout près de moi,
Jarry, comme Alphonse Allais. Rappelons-nous que quand ils ont écrit ça,
c’étaient des jeunes pleins de jus, et je ne peux m’empêcher de faire
la relation avec des jeunes auteurs d’aujourd’hui. J’aime mélanger
classique et contemporain. Et travailler avec des auteurs vivants ! »
Vraoum !
Le bruit du moteur de la mobylette n’étouffe pas les mots
« J’ai toujours des aphorismes en tête. En ce
moment, il y a celui de Philippe Avron, un comédien qui m’a beaucoup
inspiré dans mon travail : « Le regard du troupeau est unique, mais ses
bouses sont multiples. » Le sourire, pour dérider les visages. Ou le
rire franc, avant d’amener de la profondeur dans la discussion. Même le
rire peut être profond, mais il ne faut pas trop le dire, c’est mal
vu. »
L’amour du texte
Et l’humour pour ouvrir des portes
Mais pourquoi toutes ces portes sont-elles fermées ?
« Je pense à une autre citation, de Stanislas
Witkiewicz, celle-là : « Tous ces bedonnants cigarifiés qui vous lâchent
dessus leur chiasse mentale. » Il faut voir comment on oublie vite
l’histoire, par la volonté des
classes possédantes qui cherchent à nous rendre aveugles, et comment
cette minorité au pouvoir a peur des minorités agissantes. Julos
Beaucarne, le poète et chanteur belge dit : « Tout est toujours à
recommencer. » Alors, il faut revisiter les textes pour ne pas oublier.
Les auteurs qui resurgissent dans mon travail me revivifient. Cet amour
du texte, il n’est pas dissocié de mon travail de comédien. Le théâtre,
la langue, le langage, la poésie, la musique et les musiciens, tout ça
participe de la même chose. »
La mobylette, pour foutre le camp
Et la salle de théâtre
Pour habiter
« Quand j’arrive au théâtre, pour y jouer La nuit des rois,
par exemple, en ce moment, je suis heureux. Je regarde le plateau, les
fauteuils encore vides. Je me sens bien. Je me sens chez moi. Même si je
sais que c’est difficile d’aller au théâtre aujourd’hui, si on n’est
pas abonné. Même moi, j’ai du mal à trouver des places. Alors, il faut
aussi aller vers les gens. Quand je roule en mobylette pour aller livrer
des textes, je découvre des paysages, je rencontre des gens chez eux,
j’explore de nouveaux paysages humains. J’ai besoin des deux. Les
expériences qui consistent à collecter de la parole vivante et à la
transformer par l’écriture, ça aussi, je trouve que c’est très
intéressant. Tout ce qui peut faire quitter l’écran de la télé. Dans les
années 1980, j’étais jeune comédien, on parlait beaucoup de
décloisonnement. Entre les disciplines, aussi. Je suis fils de petit
paysan, alors la poésie, c’est naturel, pour moi, c’est le terreau dans
lequel je jardine. A l’époque, je me suis mis à l’Aïkido, à la danse
contemporaine, et j’ai jamais lâché ça. On inventait de nouvelles
formes, plus ouvertes, comme le nouveau cirque. Mais le corps, c’est
vital, c’est le silence, la présence, l’incarnation de tout ça. Je ne
peux pas séparer ma cervelle de mes jambes. Il faut ajouter le bon vin
aussi, c’est important. Dans les années 1990, on est passé à la
transversalité des disciplines, mais pas administrativement : chacun est
resté dans son domaine. Aujourd’hui, je crois que l’esthétique a pris
trop d’importance. On assiste à une forme de re-cloisonnement. »
A l’écoute du texte
Les visages se dérident
Un détenu prend la parole
« Je suis intervenu plusieurs fois en prison, pour
des ateliers de théâtre et des lectures. Bien sûr, c’est toujours un peu
rock’n roll, mais faut pas avoir peur de se prendre des vents. Ces
interventions dans le cadre de Quartier Livre, dans les établissements
pénitentiaires, ça a été très
fort, pour moi et Laurent Ménez, mon acolyte. Mais je dois tirer un
grand coup de chapeau à tous ceux qui ont encadré cette opération. C’est
essentiel. Sans cela, ça ne marche pas. Quand on a déboulé sur le
terrain de foot, ou dans le cours de chorale avec nos casques de mob, à
Saint-Malo, c’était pas gagné ! Nous avons expérimenté des formes
différentes. A la prison des femmes, neuf rendez-vous d’un quart
d’heure, c’était facile à mettre en œuvre, parce que c’est un
établissement dans lequel on peut être très réactif. Pratiquement, on a
une idée et on peut l’essayer tout de suite. A Vezin, c’était quatre
interventions d’une heure, avec l’idée de mêler lecture et conversation,
de créer ainsi une rencontre improbable. Et ça a fonctionné. »
On ouvre une petite porte
Et c’est toute la littérature
Qui s’engouffre
« Je me souviens d’une intervention Bip bip comme
ça, en mobylette, à Rouen, dans un foyer d’adultes en difficultés. On
est venus. On a lu des textes simples. Et on a déclenché un fou rire.
Ils nous ont demandé de revenir le lendemain. Et là, on s’est assis
autour d’une table et on leur a lu Michaux et Mallarmé. On a ouvert une
petite porte et le flot de la littérature a pu
s’engouffrer. L’expérience Facile à lire va dans ce sens. Ces livres
permettent de décomplexer et décontracter les gens. L’école ne nous
apprend pas à écouter et regarder une œuvre, en étant un simple
réceptacle. Avec Facile à lire, les gens ne se demandent pas est-ce que
c’est pour moi, ou est-ce que ce n’est pas pour moi. Le travail de
comédien vient en appui, pour leur ôter ça de la tête et les mettre en
état d’écoute. J’aime lire. Je suis prêt à bien d’autres expériences
pour faire partager cet amour du texte et ouvrir d’autres portes. »
Vraoum !...